Le 23 janvier, c'est le grand jour! Nous avons bien dormi et je me suis même remis de mon «coup de froid». Nous avons convenu avec les Bomika de lever l'ancre à 9h. Peu de temps avant l'heure H, l'Aroha et son équipage sont prêts. Le temps devrait être correct, nous avons peu voire pas du tout de vent mais nous sommes abrités par l'île et d'après les prévisions, la situation devrait être très différente au large. Et donc l'ordre est donné de lever l'ancre avec cinq minutes d'avance, Remonter l'ancre est entre-temps devenue une vraie routine et nous nous préoccupons plus de savoir si on n'a rien oublié et d'imaginer ce que ça va être de passer trois semaines d'affilé en mer.

Il y a là environ 7 mètres de fond et nous avons encore 15-20 mètres de chaîne dans l'eau quand le guindeau (treuil pour remonter l'ancre) s'arrête en «râlant» pour cause de surcharge. L'eau est assez trouble et la chaîne disparaît rapidement hors de vue sous l'eau. Monika est à la barre et manœuvre pour que la chaine ne soit pas sous tension, ce qui fait que nous sommes surpris de voir que la chaine plonge à pique sous le bateau. L'ancre n'était pas encore sur le point de se relever du sol (auquel cas elle serait juste sous le bateau et la chaine irait directement à angle droit). Pris par surprise, je n'ai pas le temps de donner du mou à la chaine que la vague suivante arrive! Cela entraine un affreux gémissement ce qui nous réveille définitivement de notre torpeur. Je crois même voir le support de la chaine se plier vers le bas.
Visiblement notre bateau a planté racines et nous voilà bloqués. Je me souviens d'avoir vu un rocher sous l'eau avec le masque et tuba, le seul de tout le coin, et avec beaucoup de chance, la chaine s'est enroulée autour. Ce n'est pas grave, nous faisons des cercles autour du petit caillou en remontant et relâchant la chaine pour la dé-enrouler. Nous essayons ce petit jeu pendant un bon moment, rien de bouge. Visiblement, Sao Nicolau ne veut pas nous laisser partir!

Il ne reste plus qu'une solution, mettre le maillot de bain et aller voir ce qu'il se passe. Pas si simple, car l'ancre est à 6-7 m. au fond et mon nez ne s'est pas encore complètement remis de mon rhume. Du coup, je n'arrive pas aller très profondément avec le tuba pour voir quoique ce soit.
Entretemps, il est presque 10h et les Bomika tournent autour de nous, mais cela ne sert à rien, car ils ne peuvent rien non plus et nous décidons ensemble qu'ils partent déjà.
Monika et moi échangeons de rôle, je retourne à bord et elle essaye de plonger le plus profondément possible, peine perdue, sans résultat. Nous décidons de déballer notre «Freediver». Il s'agit d'un système pour plonger profondément sous l'eau sans bouteille, nous l'avons déjà décrit lors de nos aventures à Ibiza. J'espère qu'en descendant suffisamment lentement, j'arriverai à équilibrer la pression au niveau des oreilles. Malheureusement, cette tentative ne sert à rien, j'arrive juste à aller suffisamment profondément pour voir que notre chaine n'est pas enroulée autour du rocher, cela explique pourquoi nos manœuvres de tout à l'heure n'ont servi à rien.
Monika n'ose pas utiliser le freediver mais elle veut re-essayer avec le tuba car nous ne savons toujours pas où est le problème. Plusieurs tentatives échouent, elle descend en se tirant le long de la chaine mais celle-ci est trop longue jusqu'au fond. Je suis sur le point d'abandonner quand Monika propose que je remonte l'ancre le plus possible pour que celle-ci descende à pic et que du coup la distance soit ainsi beaucoup plus courte. Ça ne me plait pas du tout, car à chaque vague, la force exercée sur la proue est énorme. Nous décidons quand même d'essayer. Monika n'arrive quand même pas assez profondément mais la vague arrive plus vite que je pensais et le choc accompagné d'un nouveau affreux gémissement est inévitable. Mais cette traction est telle que cela dégage légèrement la chaine de quelques centimètres. Je remonte aussitôt ce qui vient d'être relâché et nous dégageons ainsi laborieusement par la force notre chaine. Lorsque l'ancre est presque à la surface de l'eau, la situation devient claire : une énorme amarre s'est enroulée autour de l'ancre et il nous faut un bon moment pour tout dégager.
À 11h, nous pouvons enfin partir!

Nous devons faire les deux premières heures au moteur car il n'y a pas de vent. Mais cela change super rapidement. Les premiers jours nous avançons très bien. Nous avons parfois jusqu'à 23 nœuds de vent (Force 6 beaufort) et les bourrasques atteignent les 26-27 nœuds. Et avec ça, des vagues correspondantes de 4 à 5 mètres. Mais ce n'est quand même pas désagréable car c'est un vent arrière et les vagues sont assez étendues.

Nous sommes curieux de voir comment nous allons nous adapter à ces conditions et à ce rythme de sommeil. En journée, nous sommes la plupart du temps sur le pont, nous ne faisons pas de tour de garde. La nuit, nous faisons comme suit : le quart commence environ 1h après le coucher du soleil et nous faisons 4 périodes de 3h. Ça veut dire que chacun à 3h de service pendant que l'autre dort dans la cabine. S'il ne se passe rien, la personne de quart service s'allonge dans le cockpit, met le reveil tous les 1/4h. Un tour d'horizon de contrôle et si tout est bon, c'est reparti pour 1/4h.
Nous nous habituons très vite à ces conditions ce qui fait que nous ne sommes pas sur-fatigués. En journée, nous lisons et faisons des casses-tête, la nuit nous dormons et faisons les gardes.

Pas de chance, le temps ne reste pas aussi fort qu'au début. Nous avons tout eu, du vent très fort et de la pétole, du vent arrière, de travers et debout. Avec ce vent changeant, la distance entre le Bomika et l'Aroha peut passer en une nuit de 30 à 90 miles marins. Nous suivons un cours plus vers le nord et le Bomika plus vers le sud et il ainsi est tombé dans une zone sans vent.
Nous voguions à ce moment-là à la frontière entre deux zones venteuse et le résultat était imprévisible. Il y a eu apparemment de fortes perturbations plus au nord de nous et les Alizés auraient perturbés.
Avec toutes les perturbations des alizés pendant notre traversée, nous avons régulièrement des phénomènes de mers croisées (où plusieurs systèmes de vagues se rencontrent) et nous sommes secoués comme des pruniers. Il faut toujours se tenir pour ne pas être projeté à travers le bateau. Mais à chaque fois qu'on porte quelque chose et qu'on ne dispose que d'une seule une main pour se tenir, on peut être sur qu'une méchante vague arrive qui fait soudainement giter le bateau et nous projette à travers le bateau. Nous nous choppons un paquet de bleus partout. Dans ces conditions, nous ne pouvons que mal dormir la nuit. De plus, le bateau grince comme s'il allait se briser en morceaux. Un peu comme lors de la traversée vers le Cap Vert, sauf que là c'est pour trois semaines. Certains jours, nous ne faisons que maudire cela, ca se sont nos mauvais souvenirs.

Mais par contre, c'est super beau, chaque nuit, on peut admirer le splendide ciel étoilé, sans oublier les levers et les couchers de soleil.
Le 27 janvier 2010 à 7h, nous nous traversons tranquillement avec peu de vent un banc de dauphins qui dorment. Ça fait une drôle d'impression, d'habitude ces animaux bourdonnent tellement autour du bateau en jouant. Là, ils se laissent porter par les courants. Il n'y a que pour reprendre de l'air qu'ils remontent à la surface avec de lents mouvements de nageoire, comme au ralenti. Cela donne l'impression qu'ils n'ont même pas remarqué que nous sommes passés à côté d'eux.

Le 5 février vers 10h1/2, nous faisons une rencontre étonnante, une baleine! Ce n'est pas croyable, une drôle de sensation, mélange de joie et de peur. La baleine vient extrêmement proche d'Aroha comme si elle voulait jouer ou nous faire la cour.
Elle nage pendant plus d'une demi-heure avec nous, tout en sautant hors de l'eau comme les dauphins. Certains de ses sauts sont des saltos arrières car elle atterrit sur le dos. Sinon, elle glisse sur le côté ou comme les dauphins directement dans l'eau devant la proue. Le spectacle est hallucinant, elle nage parfois à à peine deux mètres de la proue ou de la poupe. Ses sauts se font de temps en temps à même pas 5m de distance. Comme elle fait bien 7 à 8 m. de long, on peut comprendre notre sentiment un peu mitigé.

Le jeudi 11 février, nous devons allumer le moteur le matin, car ce n'est plus possible d'avancer à la voile avec aussi peu de vent face au courant. À 10h, nous apercevons l'ile de Barbade. C'est une sentiment incroyable d'être aussi proche de la terre après trois semaines sur l'Atlantique.
Nous n'atteignons le port St Charles qu'en fin d'après-midi. Il s'agit d'un port de luxe privé où des misérables voiliers comme nous ne peuvent s'amarrer que pour se déclarer aux autorités. Après s'être amarré à une jetée en bois, nous remarquons qu'il y a une sacrée houle. De plus, un énorme bateau à moteur s'amarre derrière nous à la station essence, ce qu'il fait qu'il ne reste qu'un mètre entre notre régulateur d'allure et leur coque. À chaque vague, les taquets d'amarrage menacent de lâcher d'un côté ou de l'autre. Nous décidons de repartir et de nous amarrer à un corps-mort et plus tard nous utilisons notre annexe pour aller à terre faire note déclaration d'entré sur le territoire.
Les officiers sont très sympa et les formalités rapides et assez informelles. Plus rien ne nous empêche de faire une promenade à terre après trois semaines en mer.
Le jour suivant, le Bomika arrive avec Lisa et Charly. Le soir, il est enfin temps de décapiter la bouteille de champagne que Freddy et Christian nous ont offerte pour cette occasion. Merci pour le cadeau, il était fantastique!